Du ciel étoilé, Judicael ne voyait que les points de lumineux des astres qui constellaient la voute céleste. Allongée dans l’herbe fraiche, les cheveux bruns reposants autour de sa tête telle une couronne, l’Ange contemplait d’un regard vide l’immensité sombre qui s’offrait à elle. La Terre avait beau être vaste, la Terre avait beau abritée des milliards de vies – plus ou moins insignifiantes selon le point de vue – ce n’était pas suffisant pour elle. Sa Grace avait été enfermée dans ce véhicule – merci Louise – pendant trop longtemps, beaucoup trop longtemps. L’être enfermée entre quatre murs de chair commençait à s’indigner, à s’agiter et à gratter les remparts qui lui permettaient de passer inaperçu sur Terre. Ce n’était pas sain, elle en avait bien conscience, mais c’était plus fort qu’elle. Elle avait besoin de bien plus qu’un simple corps, elle avait besoin de retrouver cette sensation de liberté qu’elle n’avait pas ressentie depuis bien des années. Mais ce n’était pas possible, il n’y avait qu’un endroit où il lui était possible de se sentir aussi légère et libre que l’air, et ce n’était autre que le lieu qu’elle cherchait à fuir à tout prix, là où tous ses frères et sœurs – ces vils serpents – se terraient ; le Paradis. Et Judicael ne pouvait décemment pas y retourner, pas après le temps qui s’était écoulé depuis sa fuite aussi soudaine qu’inexpliquée aux yeux de la majorité de ses semblables … Une sorte de nœud étrange, une drôle de sensation vint naître dans sa gorge à cette pensée ; elle savait que ses frères et sœurs dont elle avait été le plus proche ignorait tout de sa situation, mais elle était tellement en colère contre son Père et les responsables de ses blessures qui refusaient – encore aujourd’hui – de guérir qu’elle n’avait nullement envie de prendre contact avec eux. Elle avait pris trop de précautions pour se cacher aussi bien des regards indiscrets des autres Anges, elle ne pouvait prendre un tel risque.
La brune se souvenait parfaitement du jour où tout avait basculé. C’était un jour comme tous les autres avant lui et Judicael ne s’était pas montrée soupçonneuse. Oh, elle savait que le conflit entre Lucifer et Michael prenait de l’ampleur, mais n’ayant pris parti ni pour l’un ni pour l’autre, elle s’estimait à l’abri. Quelle grossière erreur ! Oh si elle avait su elle aurait pris ses jambes à son cou bien plus tôt, comme son aîné Gabriel ! Cela lui aurait sans doute évité bien des problèmes, alors ça oui … Mais il était trop tard, bien trop tard. Car le mal avait déjà été fait. Ses frères s’étaient approchés d’elle, l’air mielleux, et lui avaient demandé de rejoindre le camp de Lucifer. Un peu déstabilisée par cette étrange demande mais sûre de ses convictions, l’Ange avait bien entendu refusé. C’était là qu’ils avaient pris les armes pour la punir de sa décision. Il n’y avait pas d’esprit neutre, là-haut, il n’y avait que blanc ou noir, jamais de gris.

Toujours étalée sur le dos, Judicael remua et cligna des yeux, mal à l’aise. Elle n’appréciait guère se rappeler ces tristes moments de son existence. Elle considérait cela comme une preuve de faiblesse évidente ; si elle avait été une guerrière confirmée, elle aurait très certainement pu se défendre. Mais l’Ange n’avait jamais été très intéressée par les exploits des autres Soldats du Paradis ; elle avait toujours été relativement pacifiste, privilégiant souvent les Soigneurs et les Messagers. Cependant on ne lui avait pas laissé le choix et c’était donc à contrecœur qu’elle avait dus se tourner vers le champ de bataille. Elle n’était pas des plus assidues et cela lui avait porté préjudice à cet instant cruel de son existence. Qu’est-ce qu’elle ne donnerait pas pour retourner en arrière et corriger cette terrible injustice dont elle était la victime …
Soupirant de manière très humaine, Judicael détacha son regard des étoiles qui éclairaient le ciel, se plaçant sur le flanc. Ses ailes – invisibles pour le commun des mortels – frissonnèrent en suivant le mouvement. Même après toutes ces années, elles étaient encore douloureuses et la brune se demandait parfois par quel miracle celles-ci étaient encore rattachées à elle. Pas qu’elle se plaignait, loin de là, mais les appendices propres aux Soldats de Dieu qu’elle arborait étaient tellement abîmés … Elle peinait même à voler sur quelques mètres, c’était pour dire !

Une brise d’air frais s’abattit sur le petit champ désert qui se trouvait derrière l’Eglise – oui, Judicael se trouvait bien non loin d’une des demeures de son Père – et les mèches brunes du véhicule de l’Ange s’envolèrent légèrement avant de retomber devant ses yeux, qu’elle ferma distraitement.  Cela faisait quelques heures déjà qu’elle était-là, et le fait de rester au calme ainsi lui permettait de calmer sa colère et ses impulsions malsaines … Et elle n’avait guère envie de retourner à l’appartement maintenant. Elle était bien dans l’herbe fraiche, elle était bien là sous la lueur blafarde des astres nocturnes.